Dans mon dernier billet intitulé Cet état de pure béatitude, je partageais une expérience vécue il y a quelques années que certains qualifient de «projection astrale» alors que d’autres proposent que ce soit des hallucinations ou encore depuis peu étudié de la synesthésie.
Je reviendrai plupart dans ce billet sur les différentes explications de ce phénomène et je vous ferai part également de mon avis personnel. Puisque c’est de cela qu’il s’agit avant tout lorsqu’on vit ce type d’expérience.
Mais qu’est-ce qui s’est passé?
Dimanche soir dernier, Éric-Emmanuel Schmitt, dramaturge et romancier français, naturalisé belge, expliquait son expérience révélatrice lors de son entrevue à Tout le monde en parle. Après l’avoir écouté, j’ai eu envie de me remémorer ma propre «sortie hors du corps», appelons-là ainsi pour l’instant.
C’est d’ailleurs dans son livre La nuit de feu que Schmitt raconte le récit de ce qui s’est produit durant cette nuit où il s’est perdu dans le désert du Sahara à l’âge de 28 ans. Alors qu’il était un athée convaincu, cette nuit là, l’expérience qu’il a vécue a changé quelque chose en lui sans trop savoir précisément quoi, mais il dit avoir eu soudain la foi.
Je vais le citer à quelques reprises, parce que j’ai apprécié sa manière d’expliquer simplement ce qu’il a vécu. Dans le texte qui suit, Schmitt raconte ce qu’il a éprouvé quand il croyait qu’il allait peut-être mourir dans le désert.
J’ai eu le sentiment tout d’un coup que j’avais deux corps. Il y avait un corps qui restait dans le sable, qui avait froid, qui avait faim, qui avait soif, qui avait mal aussi. Et puis un autre corps qui se détachait de celui-ci et qui échappait à tout, à la faim, à la soif, à la douleur mais aussi à la pesanteur et aussi au temps. […] Et tout d’un coup ça s’est transformé effectivement en l’approche d’une lumière, une force, dans laquelle plus je m’approchais plus je me sentais pacifié, apaisé, ce n’était pas la fin du voyage.
Il poursuit plus tard en expliquant son incompréhension face à ce qui lui était arrivé et à cette transformation intérieure qu’il a subi à ce moment là.
Cette force qui m’avait emporté m’a redéposé dans mon corps, dans le sable, dans les douleurs. Je me suis dit : «Mais qu’est-ce qui s’est passé?» J’ai essayé de comprendre et en même temps au fond de moi, déjà tout avait changé. J’avais confiance au lieu d’avoir peur. Je me disais :«Bon, je vais peut-être mourir dans trois jours mais je mourrai confiant avec la foi ou peut-être qu’on va me retrouver alors il faudra que je vive avec la foi […]»
Il semble dire que ce serait peut-être Dieu qu’il a vu dans la lumière. Marc Béland, acteur et metteur en scène québécois, a émis un commentaire «Peut-être pas Dieu» et il a tenté d’expliquer tant bien que mal, sans mot précis que cela pouvait être simplement une «projection astrale» et qu’il ne s’agissait pas de Dieu nécessairement. Remarque pour laquelle je suis plutôt en accord. Mais poursuivons…
Frère en ignorance
Schmitt a décrit trois sortes de positions qu’il juge honnêtes, soit:
- l’agnostique croyant qui dit : «je ne sais pas mais je crois que oui»;
- l’agnostique athée qui dit : «je ne sais pas mais je crois que non»
- et l’indifférent qui dit : «je ne sais pas et je m’en fous».
L’auteur dit que ces trois types d’individus sont frères en ignorance parce qu’ils sont tous honnêtes en disant qu’ils ne savent pas.
Considérant cette définition, je me décris comme une agnostique au penchant athée. Cela dit, d’après moi, ce qu’il est important de retenir de l’agnostique c’est qu’il se dit dans l’impossibilité de trancher de manière définitive sur l’existence ou l’inexistence d’une divinité quelconque, mais il n’accorde aucune valeur aux religions qui sont pour lui simplement une construction sociale et culturelle que les humains ont créé pour mieux gouverner et maintenir une certaine cohésion sociale.
Ce qui signifie qu’il est possible de croire ou de supposer qu’il existe quelque chose de plus grand que nous, sans pour autant adhérer à aucune religion. L’agnostique est selon moi, un humain face à lui-même. Il ne doit rendre des comptes à personne et il n’entre dans aucun groupe ou communauté ayant des pratiques ou croyances qu’il doit défendre et partager aux autres.
Donc pour ce qui a trait à l’existence d’une entité disons suprême, personnellement, j’ai beaucoup de difficulté à intégrer ce genre de concept. Cela étant écrit, je vous partage, pour ceux qui ne l’ont pas déjà lu, un de mes textes de ma série de dialogue Rendez-vous avec Mentor, où Charlotte et Mentor discutent à propos de Dieu. Sans rien vous révéler je peux écrire que la conclusion de cet échange est que Dieu n’est qu’un mot.
Projection astrale
L’ésotérisme et la parapsychologie
Maintenant, voyons quelques façons différentes de définir ce que l’on appelle un «voyage astral». Selon l’approche ésotérique ou parapsychologique, ce genre d’expérience consiste en une dissociation du corps et de l’esprit permettant à ce dernier d’explorer le monde de manière différente. Cela suppose donc qu’il existerait une âme ou un esprit dans le sens premier du terme soit un être incorporel.
Plusieurs expressions sont utilisées pour identifier ce type de phénomène: «expérience hors du corps» (EHC), «décorporation» et «projection astrale», «excursion psychique» pour en nommer que quelques-uns. À travers l’histoire, ces sorties hors du corps semblent remonter très loin dans le temps.
On ne connaît pas évidemment les conditions exactes dans lesquelles les gens disaient avoir vécu ce type d’expérience néanmoins les descriptions étaient à la base très similaires. On peut donc dire hors de tout doute que c’est un phénomène qui intrigue l’humain depuis fort longtemps et que les explications claires tardent toutefois toujours à venir.
La science et les hallucitations
Quand on ne comprend pas trop on émet des hypothèses qui ne sont pas forcément vérifiables. Et la science n’échappe pas à l’impossibilité de pouvoir fournir une explication plus détaillée d’un phénomène qu’elle n’arrive pas à analyser. Longtemps les scientifiques ont attribué les EHC à des hallucinations provoquées souvent par des psychotropes. Donc la consommations de certains stupéfiants pourrait être la cause qui favorise cette perception déformée laissant croire à une décorporation. Personnellement, j’ai trouvé cette explication très lâche d’un point de vue scientifique et de tout évidence elle n’aurait pas pu s’appliquer dans mon cas. Je m’explique.
Je n’ai jamais essayé aucune drogue de ma vie. Oui, oui, vous avez bien lu, rien même pas le fameux «pot» que Trudeau veut légaliser. J’ai pris deux ou trois «pof» de cigarette adolescente, assez pour m’étouffer et trouver que ce truc-là goûtait et sentait vraiment pas bon. Je ne me suis jamais saoulée. Enfin, après avoir bu la moitié d’un verre de vin j’ai les jambes molles et la tête qui tourne, si c’est ça être ivre, je le suis pratiquement chaque fois que je bois du vin, c’est-à-dire en gros une fois par mois.
D’ordinaire, je ne prends aucun médicament sauf à l’occasion de l’acétaminophène ou l’ibuprofène, mais encore! Je boude même ces analgésiques parce que très souvent ils n’ont aucun effet sur mes maux. Morale de l’histoire, je souffre!
Plus sérieusement, tout ça pour dire que je n’ai jamais rien consommé qui puisse avoir d’une manière ou d’une autre altéré mes capacités cérébrales. Juste l’idée de vivre des hallucinations, ça me fait peur! C’est tout dire. Donc, je me contente de mon imagination, qui je suppose doit être extrêmement fertile!
La science et les synesthésies
Il y a quelques années à peine, des chercheurs de l’Université d’Ottawa auraient réalisé une étude sur une femme qui expérimentait ce genre de phénomène depuis son jeune âge et qu’elle était en mesure de le faire à volonté.
Ils ont donc observé l’IRMf pendant que la patiente faisait ses sorties hors du corps et ont constaté une désactivation du cortex visuel et une activation du côté gauche de plusieurs zones liées à l’imagerie kinesthésique c’est-à-dire aux images mentales que nous avons de nos mouvements corporels. Ces chercheurs persistent à dire que ces expériences de décorporation sont un type d’hallucinations provoquées par un mécanisme neurologique.
Si ces expériences sont répétées, on suggère que cela pourrait donner lieu à un mécanisme neurologique bien particulier, la synesthésie.
La synesthésie est un phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Apparemment des personnes bien conscientes (dans un état d’éveil) ont cette aptitude de pouvoir, par exemple, voir la musique avec des formes colorées. Donc il y aurait une association entre les sons, les images et les couleurs dans leur cerveau. Il y aurait des gens qui goûtent les mots, d’autres qui voient les noms des personnes en couleur.
C’est une faculté sans contredit bien particulière et très surprenante que peuvent avoir les synesthètes. Dans ce reportage sur le sujet le narrateur parle au début d’un don, d’après moi ce n’est pas le mot approprié pour identifier cette aptitude cérébrale. Peut-on parler d’anomalie? Semblerait-il que non!
Quel en est l’avantage et est-ce que les gens qui ne sont pas synesthètes possèdent un désavantage? Est-ce que 4% de la population ne voit pas les choses normalement ou est-ce plutôt 96% des humains qui se sont abîmés en cours de développement et qui ont perdu certaines facultés? Apparemment, les bébés naîtraient tous synesthètes, cependant cela demeure une hypothèse puisqu’elle est très difficilement vérifiable.
Un phénomène qui n’a pas de mot
Bref, à mon humble avis, je ne vois pas de lien entre la synesthésie et les dits voyages astraux. Si je prends mon exemple, je n’ai pas perçu mon environnement de manière différente visuellement, mise à part mon point de vue qui était plutôt inhabituel puisque j’étais en hauteur. Il s’agissait bien plus de sensations, je dirais d’émotions mais comme a si bien dit Schmitt lors de son entrevue:
Alors c’est très difficile de mettre des mots que ce soit les vôtres ou les miens sur ces expériences. Parce que les mots ils ont été inventés pour décrire le monde ordinaire et surtout ils ont été inventés pour décrire le visible et pas l’invisible.
Cela dit, dans mon texte je parle d’euphorie, de sérénité, de béatitude, mais ce ne sont que des mots. Des mots que je connais bien néanmoins qui ne parviennent pas à décrire avec justesse ce que j’ai ressenti. C’est un peu comme si je ne faisais qu’effleurer avec ma description le véritable état dans lequel je me trouvais.
Les émotions que nous vivons au quotidien sont magnifiques mais je dois avouer qu’elles n’ont rien à voir avec ce que j’ai senti à ce moment là. C’était un état dans lequel je souhaiterais retourner de nouveau.
J’ai réessayé maintes fois mais en vain de revivre cette expérience. Je me suis dit que si mon cerveau avait réalisé cet exploit, (parce que oui je suis une sceptique et que j’ai un penchant pour les réponses scientifiques), je serais en mesure de le reproduire. N’est-ce pas un critère de la méthode scientifique, l’expérience doit pouvoir être répétée pour la mesurer et la valider.
Par la méditation, par des siestes, par l’auto-suggestion, par l’auto-hypnose… bref, rien n’a fonctionné. Il ne me reste qu’à essayer les psychotropes mais franchement, je vais opter pour la patience. Peut-être vais-je le revivre un jour si mon cerveau veut bien remettre en marche ce fameux mécanisme neurologique qui provoque ces soi-disant hallucinations.
J’ai un parcours amour/haine avec mes questionnements existentiels depuis mon adolescence. Et avant de vivre cette projection astrale, cela faisait quelque temps que je vivais un autre phénomène qu’est celui de l’écriture automatique que je pratique encore aujourd’hui. C’est pour moi, une source d’inspiration, de créativité et par moment aussi une manière de me réconforter.
Peut-être que jadis je me suis mise en posture d’ouverture mentale car je me souviens avoir demandé et souhaité vivre ce genre de phénomène. Certains diront que j’ai fait une synesthésie momentanée et d’autres juste que j’ai rêvé. C’est ce que plusieurs personnes croient lorsqu’on échange et on discute. Et puisqu’il n’y pas moyen d’observer et mesure un tel phénomène, on rejete le tout du revers de la main.
Ce peut être une expérience profonde, mais le problème fondamental est qu’il n’y a aucun moyen scientifique de mesurer si oui ou non l’esprit d’une personne « quitte » ou « entre » dans le corps. L’explication la plus simple et la meilleure pour les expériences de « sortie du corps » est que la personne imagine et rêve tout simplement. Étant donné qu’il n’y a aucune preuve scientifique que l’âme existe, ni que la conscience existe en dehors du cerveau, la prémisse sous-jacente à la projection astrale est donc rejetée par la science.
Le rêve, reflet de notre perception de la réalité
Je suis une personne qui se souvient très bien de ses rêves. Je me souviens d’au moins un rêve par nuit, sinon plus. En plus, je suis en mesure de décrire mes rêves avec beaucoup de détails.
Il est vrai que dans les rêves on peut ressentir des émotions comme si elles se produisaient lorsque nous sommes éveillés. Dans mes rêves j’ai peur, j’ai froid, je suis angoissée, je suis heureuse ou triste. Je tombe d’une montagne, je vole, je plane comme un oiseau, je suffoque, je me noie, bref la liste est longue. Tous des sentiments ou sensations bien connus et souvent vécus à l’état d’éveil actif. La peur dans mon rêve est la même peur que je vis lorsque je suis réveillée.
Lorsque j’ai vécu la projection astrale qui est supposée être un rêve ou le fruit de mon imagination, je n’arrivais pas à identifier mes émotions. Comme un jeune enfant qui ne sait pas expliquer comment il se sent lorsqu’il est fâché parce que pour lui ce sentiment n’a pas encore été identifié et il ne possède donc pas de mot pour le décrire. Voilà, je n’avais pas le mot juste pour raconter comment je me sentais.
Pour conclure ce billet, je vais citer encore une fois Éric-Emmanuel Schmitt parce que je trouve ses paroles très justes.
On croit que la liberté c’est de pouvoir dire non mais parfois la liberté c’est pouvoir dire oui. C’est pouvoir consentir. Se dire : «Oui, quelque chose me dépasse.», «Oui, quelque chose m’est arrivé.», «Oui, je ne comprends pas rien de plus qu’avant parce que je ne sais rien de plus. Mais j’habite l’ignorance avec confiance […] et avec sérénité».
Ces paroles représentent bien aussi la sensation que j’ai eu lorsque j’ai vécu cette expérience. Lorsqu’il parle de cette transformation intérieure malgré la présence des innombrables questions sans réponse. Un peu comme si on nous avait raconté un secret et qu’ensuite notre mémoire avait été effacée. Malgré tout on ressent toujours que l’on garde en nous un secret sans savoir vraiment de quoi il s’agit.
Pour ma part, les questionnements demeurent. Je doute toujours, je n’ai pas de profonde certitude et ma raison prend toujours le dessus lorsque j’ose croire que peut-être il y a vraiment autre chose. Mais je demande où est le mal, si l’on croit en quelque chose de plus vaste que nous et que ça nous permet de vivre plus sereinement voire mourir également avec plus de sérénité?
Tant que nos croyances personnelles ne causent aucun tord à la vie d’autrui, tant que nos pensées nous appartiennent et qu’elles ne sont pas imposées aux autres, croire en ce qui nous fait sentir mieux, je pense que c’est là, la plus grande liberté que nous pouvons avoir.