Sauver la vie à tout prix, est-ce vraiment de l’amour?

Hier soir, je regardais Trauma sur Radio-Canada, une série que j’avais entrepris de regarder la première saison, mais que j’ai laissé tomber à la deuxième année pour diverses raisons. J’ai repris le visionnement de cette 3e saison mais sans grand intérêt. J’aime bien la cinématographie de cette série, toutefois j’apprécie moins la trame et les personnages qui sont pour la plupart terriblement tourmentés.

Bref, dans l’émission d’hier un événement m’a choquée. Je vous partage l’intrigue.

Une ouvrière qui fait de la soudure est grièvement blessée par une explosion. Brulée au 2e et 3e degré sur la moitié de son corps et transpercée par une tige de métal dans l’abdomen, elle est transportée à l’hôpital.

Les médecins font de tout pour la sauver. Voilà, j’ai tout dit dans cette dernière phrase. Les médecins font des pieds et des mains pour sauver cette personne qui se trouve dans des conditions physiques atroces. Bouleversant!

Néanmoins, le plus grave n’est pas dans le fait d’avoir sauvé cette vie, mais dans l’attitude à l’égard des gens qui entourent la victime. Dans ce cas-ci, la chirurgienne demande au conjoint de la victime si il aime vraiment sa conjointe. Il la regarde un peu bouleversé de la voir dans un état horrible, défigurée et handicapée à vie. La médecin lui dit que la victime aura besoin de soutient et d’amour dans les mois et années à venir, qu’il faut qu’il soit prêt à vivre ça avec elle.

En bref, elle le culpabilise pratiquement en supposant qu’il ne l’aime pas suffisamment pour lui venir en aide durant les années qui viendront.

STOP.

J’étais assise sur mon divan et j’avais du mal à rester sur place tellement la situation me tourmentait.

La médecin dans cette série parle d’amour comme si l’amour était fait pour venir en aide à des personnes qui seront traumatisées pour le restant de leur jour, qui n’auront plus une vie comme celle qui avait avant un incident. Elle parle d’amour comme si c’était un remède, un remède aux bêtises, que elle, médecin a réalisé en voulant à tout prix sauver la vie d’une personne au seuil de la mort.

Je me demande si ce personnage, cette médecin, a réfléchi de son côté sur le sens réel d’aimer. Aimons-nous lorsque nous infligeons en toute connaissance de cause des douleurs physiques et morales aux personnes à qui l’on croit sauver la vie? Aimons-nous vraiment lorsque l’on offre à une personne de rester handicapée pour le restant de ses jours, de ne plus vivre une vie «normale» sans avoir besoin de soutien technologique et humain? Aimons-nous vraiment lorsque non seulement on bouleverse la vie d’une personne, la victime, mais aussi la vie de tout ceux qui l’entourent? Ces individus qui se sentiront le devoir de venir en aide à l’être cher, qui changeront toute leur vie pour apporter leur support, qui abandonneront leurs projets et leurs rêves pour être près d’une personne qui n’aura plus les moyens de vivre complètement par elle-même. Aimons-nous lorsqu’on condamne quelqu’un à être dépendant des autres? Qu’on le condamne à devoir s’adapter à une vie différente et non sans douleur, pendant que soi-même, médecin, fortuné et en santé continuons à mener la belle vie?

En plus, on nous fait voir que ces médecins sont très attentionnés et qu’ils cherchent à savoir où il y a eu négligence lors de cet incident qui a changé la destinée d’une jeune femme. Mais en aucun cas, ils ne remettent en question leur propre négligence face au respect de la vie et d’autrui. Face au fait qu’ils sont les responsables d’avoir changé la vie de cette jeune femme alors que c’était la mort auquel elle devait faire face.

Pour eux, sauver une vie c’est tout ce à quoi leur travail se limite. Ils ne sont pas tenus du gros bon sens, du respect et de la dignité humaine. Pour eux c’est évident, les gens sont des numéros, des cas, des expériences, mais pas des humains qui ont une vie, des émotions, une histoire, un passé et des projets à venir. Si les médecins voyaient les gens tel qu’ils le sont, ils ne feraient pas tout leur possible pour sauver des individus dans de terribles circonstances en sachant qu’ils ne seront plus du tout les mêmes.

Fait vécu

Je me souviens de ce que le neurochirurgien nous a dit lorsqu’il avait opéré mon père in extremis et que nous l’avions remercié d’avoir réussi à le sauver d’une mort certaine. «Ne me remerciez pas, d’ici deux ans vous me maudirez!»

Jadis nous n’avions pas compris, mais par la suite, pour ma part, j’ai réalisé qu’il savait qu’il n’avait fait que son travail, c’est-à-dire sortir un homme vivant de son bloc opératoire. Peu importe son état, peu importe ce qu’il allait devenir, il avait réussi à faire en sorte que ce corps humain survive aux dommages causés par la maladie. C’était le résultat qu’il souhaitait pour l’inscrire à son dossier professionnel. Tout ce qui pouvait arriver par la suite, lui importait peu, d’autres personnes allaient devoir se démerder avec les conséquences de son travail réussi avec succès.

Enfin, j’ai eu l’occasion de fréquenter bon nombre de médecins et d’infirmières dans ma vie. Des urgentologues, des chirurgiens, des spécialistes dans divers domaines et je peux confirmer que l’on trouve de tout comme attitude et valeur humaine. De la véritable compassion à la maltraitance, de l’égoïsme au dévouement et respect de l’Homme. Tous font leur travail mais tous n’ont pas les mêmes valeurs.

La vie vaut la peine d’être vécue… mais dans quelles conditions?

De nos jours, avec la technologie et les connaissances que nous avons, nous faisons de la vie un jeu soit une véritable arène d’expériences scientifiques. Et avec tout ce savoir acquis, nous sommes incapables de juger ce qui est bon de ce qui l’est moins. Incapables de distinguer ce qui est acceptable de ce qui devient de l’acharnement. Nous avons de grands pouvoirs obtenus par la pratique et l’éducation, mais nous les appliquons maladroitement et sans grande réflexion.

Il y a quelques années on offrait davantage un départ paisible aux malades, incapable de réparer tous les dégâts causés par un accident ou une maladie. Aujourd’hui, on offre un avenir de souffrance aux malades parce que nous sommes capables de circonscrire une maladie et parfois estomper partiellement les dommages engendrés. Tout cela ne se fait pas sans épreuve, douleur et torture physique et morale.

Le choix du patient de combattre un cancer est bien différent du fait de celui d’une personne accidentée qui vivra avec le choix d’un médecin qui a jugé bon que même brûlée, paralysée, amputée, cette personne devait vivre peu importe son état physique. Est-ce réellement ça préserver la vie?

Que l’on se comprenne bien, je crois qu’il y existe des cas où il est possible d’être sauvé sans trop de conséquences négatives par la suite et avec une très bonne réhabilitation retrouver un train de vie normal. Je parle davantage de sauver des vies dans des cas extrêmes, où les conditions de survit sont critiques et où la réhabilitation peut prendre de nombreuses années pour avoir un semblant de vie. Des cas où il ne fait aucun doute que la personne ne pourra pas vivre une vie d’elle-même mais être au dépend de machine ou de personne.

Sujet délicat, jugement difficile, mais il faut savoir trancher. Où commence l’aide que l’on apporte et où se termine-t-il pour laisser place à l’acharnement et l’entêtement.

Sauver une vie à tout prix peu importe ce qu’il en résultera plus tard.

Ou encore…

Sauver une vie en respectant certaines conditions pour offrir une qualité de vie appréciable.

Le premier choix est plus simple, on ne se soucie pas des conséquences, le deuxième exige une réflexion, une prise de décision ainsi qu’une responsabilisation face aux choix effectués pour soi et pour les autres.

Je n’ai plus qu’à souhaiter que s’il devait m’arriver quelque chose de vraiment grave, je sois pris en charge par un médecin qui possède davantage de compassion et d’humanité que de volonté carriériste, afin de savoir amoindrir mes souffrances avant de mourir, plutôt que de m’en affliger de nouvelles pour des années à venir.

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