- Depuis le Web 2.0, l’apparition des médias sociaux dans nos vies a de toute évidence engendré des comportements socionumériques spécifiques à l’univers d’Internet. Néanmoins, il ne fait aucun doute que plusieurs attitudes que l’on retrouve chez les internautes ne sont en réalité qu’une prolongation d’un comportement social déjà existant dans la vie hors ligne.
Ce qui distingue les comportements virtuels de ceux que l’on dit réels, c’est que très souvent les comportements sur le web sont exagérés dû principalement à divers éléments, dont l’immédiateté et la spontanéité des réactions. L’interprétation des textes est également un facteur non négligeable dans la compréhension des comportements en ligne. Cette interprétation a un effet grossissant comme si le lecteur lisait tous les messages à la loupe ce qui lui donne l’impression que les autres soit lui lancent des fleurs ou soit lui donnent une énorme gifle.
Bref, la liste des comportements que l’on retrouve sur les médias sociaux peut être très longue. Je parle ici d’une forme de conduite en ligne et non pas d’un type d’utilisateur, puisque les différents groupes d’usagers (ex.: les créateurs de contenu, les contributeurs) peuvent s’exprimer en adoptant divers comportements.
Cela étant dit, ces comportements socionumériques que j’aime définir comme étant des « a-ttitudes à la puissant n » sont, selon moi, une forme de caricature de nos comportements sociaux. Le fauteur de trouble, soit le troll, l’âme charitable soit le blogueur généreux, le désemparé, soit celui qui ne sait pas trop comment faire, mais qui veut quand même participer aux discussions. En réalité, ces comportements sont très ordinaires, on peut tout aussi bien les retrouver dans notre vie tangible lorsqu’on est en face à face avec quelqu’un ou dans un groupe. Pour moi, il ne fait aucun doute, sur le web, nous représentons l’humanité sous une perspective amplifiée.
Quoi qu’il en soit, je voudrais m’attarder davantage à un comportement spécifique qui semble avoir pris naissance dans les pratiques très distinctives du web. Il existe des façons de faire, principalement dans les réseaux sociaux, qui permettent de combiner facilement deux attitudes radicalement opposées créant ainsi une nouvelle forme de militantisme, soit le slacktivisme ou l’activisme désengagé.
Le slacktivisme, un fléau pour les organisations caritatives
Avant de définir ce qu’est le slacktivisme, prenez le temps de répondre à cette petite question. Que faites-vous lorsque dans vos divers fils de nouvelles soit par exemple sur Twitter, Facebook ou Google+, vous voyez un message concernant un organisme caritatif? Passez-vous à l’action en faisant un don en argent?
En réalité, la plupart des internautes partagent le message ou cliquent la mention « Like » de la publication et ils se sentent fiers d’avoir posé ce grand geste! Voilà en bref ce qu’est le slacktivisme. Ce terme qui est en fait un mot-valise de « slacker » soit fainéant en anglais et « activisme » définit plusieurs internautes qui, à cause de certaines actions qui leur sont offertes via les réseaux sociaux, deviennent des activistes-paresseux. Voici une infographie (en anglais) qui explique en bref ce qu’est un activiste désengagé.
Normalement, les deux buts principaux d’une campagne sont de sensibiliser et d’encourager les dons. Visiblement, selon des études, dont une publiée récemment par le Journal of Consumer Research, les réseaux sociaux font en sorte que les gens au lieu de contribuer financièrement ne font plus que « partager » ou « aimer » les nouvelles et se contentent donc de diffuser l’information plutôt que de contribuer à la cause. Ainsi, les associations caritatives éprouvent de sérieuses difficultés à récolter des dons via Internet.
De plus, les expériences menées par le doctorant Kirk Kristofferson, à l’université de Colombie Britanique, qui a également participé à l’étude mentionnée ci-haut, expliquent que les gens sont plus enclins à ne pas faire de dons s’ils peuvent afficher publiquement leur appui à l’égard d’une association caritative. Du moment que le désir de bien paraitre aux yeux des autres est comblé par le partage ou par le fameux « Like », il en découle une diminution significative de l’intérêt d’offrir un don en argent, et cela, même sur le long terme.
Lors d’un projet mené par Brian Solis, un chercheur dans le domaine des nouvelles technologies, il a été possible de constater que les internautes croyaient que leur acte de partage valait beaucoup plus qu’une contribution en argent. Donc ces derniers pensaient vraiment que leur influence numérique était si importante qu’ils associaient des dizaines de dons individuels au partage qu’ils faisaient dans leur réseau.
Bien entendu, quelques organisations caritatives ont pris conscience de ce phénomène, c’est pourquoi d’ailleurs l’Unicef a fait une campagne en ce sens pour sensibiliser les gens que les fameux « Like » n’offrent pas de dons aux enfants qui en ont besoin (vaccins, nourriture, éducation).
Aussi, Unicef Suède a fait des publicités où les personnages tentent de payer un produit ou un service en « Like ». Dans l’une des vidéos, on nous montre un client qui veut payer son repas au restaurant grâce aux « Like ». Dans l’autre, le client demande à l’employé du magasin combien de « Like » vaut le chandail en cachemire qu’il souhaite acheter. Pour finir, Unicef mentionne que les « j’aime » ne peuvent permettre de rien acheter.
Aimer avec des micro-dons
Selon ce qui précède, les campagnes des organismes de bienfaisance sur les réseaux sociaux devraient miser que sur la notoriété de l’organisme en question et la sensibilisation à une cause, mais ne devrait pas compter sur les contributions monétaires. Je crois qu’il serait préférable de trouver une autre manière de comptabiliser les appuis à une cause voire de les monnayer.
Depuis quelques années, il existe des services en ligne de micro-donations qui, d’après moi, pourraient être intéressants pour les associations caritatives. Ce sont des porte-monnaies en ligne qui permettent de contribuer monétairement en offrant de très petits montants d’argent lorsqu’on clique sur un « Like » se trouvant sur un site participant à ce type de micropaiement. Flattr est un bel exemple de service de portemonnaie en ligne avec lequel il est possible de faire des micro-dons sur YouTube, Instagram, Flickr et bien d’autres sites (sauf Facebook).
Trop souvent pour faire un don en ligne aux diverses organisations caritatives, il faut remplir un formulaire, avec tous nos renseignements personnels, nos numéros de carte de crédit et on nous propose de cocher des montants plutôt importants ce qui peut être un frein aux donateurs. Puisqu’il y a déjà des barrières existantes pour faire des dons, tels que la situation financière des donateurs et l’inquiétude qu’ont ceux-ci à savoir où ira réellement l’argent qu’ils désirent donner, il faudrait plutôt miser sur l’accessibilité pour faire un don et s’inspirer du phénomène de la longue traine (long tail) qui compte davantage sur le nombre de contributions que sur leur valeur à l’unité.
N’est-ce pas avec des cennes qu’on fait des piastres? C’est donc avec de nombreux petits dons qu’on peut récolter des sommes significatives, et cela, en plus sur une longue période de temps.
Enfin, s’il est vrai que les associations de bienfaisance doivent innover dans leur manière de collecter des fonds auprès des usagers Internet, il n’en demeure pas moins que les internautes ont également la responsabilité de prendre conscience de leurs actions numériques. Alors, la prochaine fois que vous verrez passer une cause qui vous tient à coeur, avant de partager ou d’aimer le lien, songez à la réelle utilité de ce petit clic et agissez plutôt concrètement afin de pouvoir faire une réelle différence, du moins si vous croyez vraiment que les associations caritatives peuvent faire cette différence!
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Ce billet a été publié également sur Le République