Ces enfants qui ne rédigent pas leurs statuts

À l’ère où les réseaux sociaux et les blogues ont engendré la multiplication des données personnelles sur le Web, il est indispensable que les internautes sachent gérer leur «identité numérique». Cette identité qui est essentiellement composée des renseignements personnels inscrits dans les nombreux profils, à travers les participations dans les forums ou les blogues ou encore grâce à une marque numérique quelconque que l’usager laisse lors d’une visite sur un site Web.

La gestion de notre identité numérique devient donc importante et elle ne se limite pas à l’aspect de sécurité et de protection des informations partagées, mais il s’agit également de savoir gérer l’image que l’on affiche sur Internet à travers entre autres les divers réseaux sociaux utilisés. La question se pose aussi pour certaines personnes peu voire pas connectées à savoir s’il est pertinent d’avoir une présence Web pour garantir une forme de protection de leur identité numérique.

Internet est devenu un outil de recherche quasi indispensable pour plusieurs et les informations que l’on trouve sur une personne peuvent jouer un rôle très significatif sur l’idée que l’on se fait de cette personne. Les sources d’information sont variées et permettent d’obtenir une description sommaire d’un individu en découvrant par exemple ses intérêts, ses opinions, ses habitudes technologiques, sa situation personnelle et familiale. Bref, on peut y trouver maintenant des renseignements qu’autrefois pour les obtenir il fallait forcément serrer la main de ladite personne et discuter avec elle en prenant un bon café.

Apprendre à administrer les données que l’on décide de mettre en ligne implique de devoir réfléchir sur ce que l’on décide de garder dans le domaine du privé et ce que l’on accepte de partager publiquement. C’est un choix très personnel et différent pour chacun d’entre-nous.

Une identité au-delà du numérique

Il faut comprendre avant d’aller plus loin que ce que nous appelons aujourd’hui «identité numérique» c’est un phénomène propre aux générations qui ont découvert Internet. L’identité numérique est en effet un complément à notre identité physique. Toutefois, dans le cas des jeunes générations qui sont nées avec la présence de ce réseau informatique mondial dans leur vie, il n’est plus question d’une identité numérique complémentaire mais davantage d’une prolongation de leur propre identité.

Il est possible de dire que l’aspect numérique de leur identité est quasi indissociable à leur existence. Il est important, selon moi, de prendre conscience en tant que parent que chaque choses écrites ou publiés concernant notre enfant sur Internet, laisseront des traces pratiquement impérissables de leur réalité, soit de leur vie.

Avoir une identité avant même d’exister

Depuis quelques années, on a pu constater la présence en ligne de très jeunes enfants dont leurs parents publient des photos dans leurs réseaux sociaux (Flickr, Facebook, Twitter). Selon une étude britannique de Currys & Pc World, il s’agit de près de 81% des enfants de moins de deux ans qui ont une empreinte numérique, par exemple des photos mises en ligne par leurs parents de manière public ou privé.

Il m’apparaît tout à fait normal de vouloir partager certaines informations concernant nos enfants dans nos profils en tant qu’adulte et parent. Il faut juste être selon moi vigilants et savoir comment gérer les paramètres de confidentialité pour avoir un minimum de contrôle sur la diffusion de notre contenu.

Là où, personnellement, je trouve que certains parents vont légèrement trop loin, c’est lorsqu’ils créent un profil Facebook ou Twitter à leur enfant et qu’ils écrivent des statuts et publient du contenu en leur nom. Dans cette même étude britannique on indique qu’environ 7% des enfants de moins de deux ans possèdent déjà une adresse courriel en leur nom et on mentionne que 4% des futurs parents ont ouvert des comptes Facebook ou/et Twitter avant même la naissance de leur enfant. Ces bébés sont donc connus sur le Web avant d’être reconnus par l’État!

Avoir un vécu numérique sans l’avoir vécu!

Pourquoi ne suis-je pas en accord avec cette façon de faire qu’ont certains parents à l’égard de la vie numérique de leur enfant? C’est très simple, d’après moi, ces parents s’approprient une identité qui n’est pas la leur. On parle beaucoup de vol d’identité craignant de se faire plumer monétairement ou encore de souffrir d’une mauvaise réputation sur le Web. Mais que font exactement ces parents en écrivant et publiant au nom de l’enfant?

Ils déterminent l’identité d’une personne sans que celle-ci ne puisse rien dire n’ayant pas connaissance de ce que l’on fait de l’image numérique de sa personne. Selon moi, ces parents s’emparent littéralement de l’identité d’une autre personne pour l’afficher et la construire d’une certaine manière à travers leur regard de parent et non celui de l’enfant. Ces parents se trouvent donc à instrumentaliser l’enfant et à le considérer comme leur propriété plutôt qu’un individu à part entière.

Même si les parents contrôlent le contenu qu’ils publient au nom de l’enfant, il arrive même qu’avec les meilleures intentions du monde les parents puissent partager des renseignements que l’enfant devenu adulte n’aurait pas voulu partager. On impose également une manière de faire ou d’être à une personne qui est incapable de se faire une idée sur ladite chose. N’est-ce pas une forme d’endoctrinement ou de conditionnement?

Ces futurs adultes auront donc déjà un vécu numérique avant même d’en connaître véritablement l’existence. Ils auront un journal personnel sur le Web, qu’ils n’auront pas eux-mêmes écrit.

De deux choses l’une, soit l’enfant entrera dans le moule de l’usager exemplaire qu’auront établi les parents en forgeant son identité Web et extra Web, soit l’enfant tournera le dos à cette culture numérique auquel il ne voudra pas adhérer.

Cela étant dit, je crois que les dangers de cette appropriation du contenu identitaire de quelqu’un d’autre réside dans le fait que les informations partagées suivront cette personne toute sa vie. En sachant très bien que de nos jours, il est possible de «googler» le nom de quelqu’un et d’en savoir davantage à son sujet, les prochaines générations d’adultes devront apprendre à gérer leur réputation avec des renseignements personnels qu’ils n’auront pas eux-mêmes décidé d’afficher publiquement sur le Web. Ils devront contrôler leur identité à partir des bases construites par d’autres.

Pour cette raison, je ne cesse de me demander si nous pouvons avoir le droit de prendre en charge l’identité de quelqu’un sans son consentement? Ou avons-nous le devoir de guider un futur citoyen pour qu’il puisse un jour de la manière la plus éclairée possible faire un choix de ce qu’il jugera bon ou non pour son identité?

Une identité prédéterminée

Finalement, le fait d’incarner le profil d’une autre personne en décrivant très souvent les faits et gestes de cet individu, ne pourrait-il pas causer une forme de hypernarcissisme auprès de ces futurs usagers Web? Depuis leur jeune âge voire avant leur naissance ils possèdent une description parfois très détaillée de leur vécu et avec éloge, ces traces qui sont bien souvent subjectives n’auront-elles pas un effet d’auto-admiration et la création d’un besoin de reconnaissance?

Le fait de s’approprier le profil d’une personne qui nous est chère, ne pourrait-il pas également influencer l’évolution de cette personne en décrivant avec insistance ses qualités et ses aptitudes? Ce phénomène peut être lié à  l’effet pygmalion qui est en soit une pratique bénéfique, cependant, n’y-a-t-il pas une surenchère possible des compétences d’une personne qui pourrait affecter directement la perception qu’à cette personne d’elle-même et de ses capacités?

Bref, cet aspect psychologique n’est probablement pas tenu en compte par certains parents et pourtant des études démontrent que la manière dont nous disons les choses à nos enfants ont un impact sur l’évolution de celui-ci. Nous complimentons très certainement tous parfois un peu trop nos enfants, alors que d’autres au contraire les dénigrent à outrance. Ce qui m’amène à ma préoccupation principale dans cette situation concernant l’identité d’une personne, c’est que les paroles s’envolent et les écrits restent…

Je termine avec cette réflexion.

Est-ce que cette façon de faire actuelle des parents connectés, qui à première vue peut sembler inoffensive, engendrera des querelles familiales d’ici quelques années? Les adultes de demain, remercieront-ils leurs parents de leur avoir donner une voix numérique avant même qu’ils ne puissent s’exprimer grâce à leur propre voix?

J’en doute… Combien d’entre-nous avons eu horreur lorsque nos parents à l’occasion de fête en famille auprès de nos nouvelles conquêtes amoureuses ont révélé des anecdotes à notre sujet que l’on aurait préféré garder pour nous ou encore les raconter le moment voulu?

Et vous, qu’en pensez-vous?

Sources:

Bébés, foetus et identité numérique – Protéger son image

74 % des bébés français sont présents sur Internet – Le Monde.fr

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Ce billet a été publié également sur Le République

2 Commentaires

  1. Je comprends d’où viennent tes réticences mais je ne les partage pas. À mon avis, cela dépend de comment on le fait. Jérome et moi avons donné une identité numérique à notre fils. On est des geeks, la technologie fait partie de qui nous sommes. Je le fais parce que c’est, pour moi, un moyen de communiquer et de garder une trace des beaux moments de notre vie ensemble. J’ai toujours parlé dans les médias sociaux de ma vie privée avec retenue. Comment Jérôme et moi gèrent l’identité numérique de notre fils reflète cette même philosophie.

    Si tu veux en savoir davantage, j’ai écrit un long billet sur notre philosophie par rapport à l’identité numérique de notre fils. http://kimvallee.com/digital-identity-baby/

    • Merci Kim pour ton commentaire à ce sujet. J’ai également lu ton billet avant même de voir que tu m’avais laissé un message ici.

      Nous sommes aussi de très grands geeks Geoffroi et moi. Je suis moi-même née d’un véritable geek, je suis donc tombée dans la potion technologique très jeune. Nous avions à la maison un réseau informatique alors que la plupart des gens n’avaient même pas accès à un ordinateur.

      Mon conjoint et moi avons beaucoup réfléchi sur la question, nous avions envisagé à un moment donné pour notre fille aînée de lui acheter un nom de domaine pour lui assurer une fenêtre sur le Web dont elle pourrait disposé dans le futur comme elle le souhaite. Nous avions pensé à lui créer un courriel à son nom ainsi qu’un compte Twitter mais davantage dans l’idée de craindre une forme de pénurie, le fait de ne pouvoir avoir accès au nom de courriel ou d’usager qu’elle souhaiterait.

      Finalement, nous nous sommes dit que chaque chose allait se passer en temps voulu, qu’elle aurait à vivre ses expériences d’appropriation des technologies à son rythme et non pas au nôtre. Qu’elle allait avoir toute sa vie pour faire usage des technologies qui font de toute manière partie intégrante de sa réalité.

      C’est au choix de chaque parent de prendre en charge ou non l’identité dite numérique des enfants. Mais il faut être conscient que ce que l’on peut considérer anodins aujourd’hui pourrait avoir un impact important dans le futur pour cette personne. C’est pour cela que de gérer l’identité de quelqu’un d’autre c’est tout de même de lui imposer notre vision des choses.

      Et puis ce que vous jugez qui n’est pas honteux ou désagréable à voir ou lire dans le futur, ce n’est pas forcément ce que l’enfant ou même les gens qui vont l’entourer plus tard croiront forcément. L’enfant devra donc gérer son identité à partir de celle qui lui aura été construite pour lui.

      En tant que parent c’est vrai que nous faisons plusieurs choix pour nos enfants, ça va de soi, mais je crois que lorsque certaines décisions impliquent d’autres individus dans l’entourage même lointain de l’enfant (les internautes), ça ne me paraît pas convenable de s’introduire aussi librement dans la vie de cette personne.

      Je ne partage simplement pas cette manière de faire parler un enfant à travers les réseaux sociaux, alors qu’il n’est même pas en âge de communiquer vraiment. Non seulement, je n’en vois pas la véritable utilité, mais j’ai l’impression que l’on personnifie un enfant au delà de sa simple nature d’enfant.

      Je ne crois pas que d’avoir un journal en ligne soit la meilleure manière de garder des traces de notre existence puisqu’en plus les réseaux sociaux sont tellement changeant et ne peuvent être une source fiable étant donnée que le contenu ne nous appartient même pas ultimement. En plus ces souvenirs deviennent accessibles au public, si on parle de Twitter par exemple.

      Je trouve qu’on perd un peu de la magie de découvrir l’autre le moment venu quand on est en mesure de lui serrer la main. Avec une recherche sur le Web, on risque d’avoir suffisamment d’information pour s’en faire une idée… et les adultes de demain devront vivre avec les traces de leur histoire laissées par les adultes d’aujourd’hui.

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