Cet état de pure béatitude

Allongée sur mon côté droit légèrement recroquevillée avec un oreiller entre les jambes, je dors paisiblement. Enfin c’est ce qu’une partie de moi pense. J’oscille bien malgré moi entre une lucidité d’esprit effarante et des éclipses totales de conscience. Il doit être près de minuit ou peut-être finalement tard dans la nuit. Je n’en suis pas trop sûre.

Tout à coup ma main gauche se met à bouger. Elle m’apparaît soudainement plus légère. Toujours les yeux fermés, je m’interroge du pourquoi ma main se dresse ainsi en direction du plafond comme si elle voulait pointer quelque chose. Puis, c’est mon autre main qui veut se joindre à celle déjà bien tendue vers le haut.

J’ouvre les yeux et j’aperçois une ficelle lumineuse que mes mains veulent saisir. Ces mains qui d’ailleurs semblent agir sans mon consentement. Curieuse, j’ordonne volontairement à tout mon corps de faire des efforts pour attraper cette corde. Une corde aux allures d’une fibre optique qui soudain ressemble plutôt à un bras. C’est flou.

En fait, ce n’est pas un bras du tout, mais j’ai comme l’intuition que c’en est un. Je parviens enfin à saisir cette corde entre mes doigts et je tire très fort. Si fort que j’ai l’impression que mon corps est coincé dans un bloc de ciment en phase de durcissement duquel j’ai vraiment du mal à me dégager.

Je ne suis pas seule.

Enfin, je ne vois personne près de moi, toutefois, je sens une force qui se trouve à l’extrémité de ce filament lumineux qui apparemment tire aussi de son côté pour m’aider à me déprendre de je ne sais trop quoi exactement.

Des fourmillements électrisants parcourent tout mon corps. Après avoir tiré sur cette corde un bon moment, j’ignore complètement combien dure ce moment, j’en ai perdu la notion du temps, mes jambes deviennent très légères à leur tour. Dans ce processus d’extirpation s’ensuivent mon bassin puis mon torse pour terminer avec mon cou et ma tête qui, elle, paraît peser une tonne.

Finalement, je me suis libérée d’un poids. Un poids que je ne parviens pas encore à définir. J’ai la ferme impression de ne plus sentir l’effet de la gravité. Voilà une sensation que je n’ai jamais ressentie par le passé. C’est la toute première fois de ma vie que je me sens aussi agréablement éthérée.

Étrangement, le plafond s’approche tout à coup de mon visage. Ou est-ce mon visage qui s’approche trop du plafond? Brusquement, je me retourne par peur de me fracasser le nez. Je me suis tournée avec une telle facilité que je n’ai même pas eu l’impression que mon corps se soit vraiment viré de côté.

Mon corps? Waouh, mon corps!

Je suis là, en train de contempler mon corps qui dort. Jamais je ne me suis vue ainsi. Jamais je n’ai vu ce profil de moi. Comment pourrais-je?

Légèrement repliée sur moi-même, mes yeux sont clos et ma respiration est à peine perceptible. Une mèche de mes cheveux bruns recouvre soigneusement mon oreille et ma joue. L’édredon aux motifs royaux épouse fidèlement les formes de mon corps. Je suis émue de me voir. Enfin, émue n’est peut-être pas le mot juste, j’éprouve une euphorie inimaginable.

Ma chatte plus blanche que neige dort à mes pieds en formant un cercle de fourrure quasi parfait. Avec son dos touchant presque le mien, mon époux dort silencieusement à mes côtés. Je suis fascinée. Quelle belle sérénité inonde cette pièce.

Je m’approche de moi-même. Oups, pas trop. Je ressens une forme d’attraction vers mon corps endormi. Alors, je m’éloigne pour mieux observer cette scène magnifique et surtout pour profiter de cet état de pure béatitude.

Dans la pénombre de la chambre à coucher, je vole. Non, je ne vole pas, je flotte. Non, c’est autre chose, mais qu’importe. J’observe la pièce d’un point de vue qu’il m’est normalement impossible d’avoir lorsque je marche sur mes deux jambes. Je suis subjuguée. Je veux absolument voir autre chose.

Mais où est cette force qui m’a sortie de mon corps?

Je décide de sortir de la chambre dont la porte est à peine entrouverte. Je me faufile aisément par l’entrebâillement de la porte. Immédiatement à ma droite se trouve une autre porte, celle-ci donne accès à la cage d’escalier, qui elle donne sur la porte de sortie de mon appartement.

J’hésite. Je regarde mes mains. Elles me paraissent bien normales, peut-être sont-elles à peine transparentes, toutefois je n’en suis pas certaine. À présent, je ne suis même plus sûre que ce soit des mains. J’en ai l’impression, mais j’ai une petite confusion mentale. Ou spirituelle?

Je décide de déposer ce qui fait office pour moi de ma main droite sur la poignée et je suis instantanément attirée au-delà de la porte. Me voilà dans la cage d’escalier sans avoir eu besoin d’ouvrir la porte.

En bas des marches, une lumière blanche extrêmement vive pénètre par les quatre petits carreaux de fenêtre de la porte d’entrée. Je sais que je passerai au travers de cette porte aussi bien qu’à travers la précédente. Je me lance. Je fais un véritable piqué comme le ferait un aigle. Subitement, une lumière si intense m’éblouit, j’en ai mal aux yeux. Je les ferme violemment. Du moins, c’est ce que je crois.

Je me sens aspirée en moins de temps qu’il ne faut pour… aucune idée! Je ressens toute cette lourdeur que j’avais quitté plus tôt. J’ai encore mal aux yeux. Néanmoins, durant ce temps indéfinissable où j’ai été ramené à cette pesanteur que je reconnais bien, toute cette éclatante lumière est enfin disparue.

J’ouvre les yeux d’un coup. J’aperçois mon simulateur d’aube toujours éteint et le cadran qui indique 5:25. Un faisceau de lumière surgit de derrière les rideaux teintant doucement le mur en face de moi d’une coloration jaune pastel. Je porte ma main gauche devant mes yeux et je la regarde un moment.

Je me redresse un peu dans mon lit pour voir si ma chatte est bel et bien à mes pieds. Elle n’a pas bougé d’un poils. Je me retourne pour voir mon époux et il dort tranquillement exactement comme je l’avais perçu lorsque j’étais en hauteur.

Je suis réveillée. J’ai un sourire aux lèvres. J’ai des centaines de questions qui se bousculent dans ma tête. Malgré cela, au plus profond de moi, je suis sereine.

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Prochainement, je vais publier un billet qui fera suite à celui-ci et qui reviendra également sur certains propos que Eric-Emmanuel Schmitt a tenu lors de son entrevue à l’émission Tout le monde en parle. Il y partageait entre autres une « expérience hors du corps » (EHC) qui aurait changé sa vision de la vie.

 

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